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martes, 3 de mayo de 2011

Sur le républicanisme, tout le texte

Mardi 27 avril 2010 2 27 /04 /Avr /2010 12:52
UPMF – Grenoble 2, UFR SH, Département de philosophie
Année Universitaire 2009/2010, L3
Cours de philosophie de la démocratie
 
b.     Le républicanisme
 
La critique républicaine de Rawls reprend une telle revendication à son compte. Elle souligne l'oubli du politique dont est coupable le libéralisme, et entreprend d'exhumer une certaine manière d'être collective dont l'origine se confond avec les débuts de la modernité.
             
             Pour caractériser de manière générale la pensée républicaine, on peut partir de l’idée selon laquelle la République est à la fois une expérience et une idée : la première se confond avec l’histoire de France depuis la Révolution française et mieux encore depuis le XIXème siècle, compte tenu de la longévité et de l’apport de la IIIème République (1871-1940) ; la seconde renvoie aux multiples aspect de la pensée républicaine qui, liée à la revendication socialiste sans cependant s’y résumer, désigne une philosophie complète, comprenant une anthropologie, une pensée sociale et une économie. Plus exactement, le point fort de cette tradition est qu’elle a tenté de mettre en place un système d’organisation des pouvoirs qui repose sur l’institution, puisque l’idée républicaine est que l’institutionnalisation de la souveraineté du peuple peut se réaliser par le biais de la présence des citoyens dans l’État. Il s’agit ainsi pour le républicanisme d’instaurer une communication permanente, ou un dialogue, entre la société et l’État. De la sorte, le républicanisme est un courant politique soucieux d’associer les forces sociales à l’État. L’État apaise les forces sociales et en permet une transcription politique vivante.
          De plus, en tant qu’expérience, le républicanisme a représenté la traduction politique de la dynamique de l’égalité. Cette doctrine apparaît dans le cadre de la montée du pouvoir d’État. Or, il convient de relever qu’il existe à la fois une prégnance et des éclipses de la pensée républicaine. Elle est très présente parce que l’expérience de la Révolution française se confond avec l’émergence d’un discours républicain : IIè République : 1848-1851, IIIe République : 1871-1940. Mais après 1945, les républiques qui se succèdent (la IVème puis la Vème) paraissent avoir privilégié l’ordre institutionnel à la dynamique sociale de l’égalité. Sans être devenue liberticide, la république semblait condamnée à être le nom pour le fonctionnement de pouvoirs débarrassés du souci du politique : idéologique, la notion de république n’avait plus le sens d’une expérience vivante. En 1975, se produisit un événement éditorial capable de redonner à ce terme le sens d’une expérience fondamentale pour la théorie politique, et par suite pour l’expérience elle-même. Il se produisit un renouveau de la pensée républicaine avec l’ouvrage de John Pocock intitulé Le moment machiavélien, qui marque l’apparition du néo-républicanisme. Mais nous pouvons nous demander : le néo-républicanisme est-il encore un républicanisme ?
          Les expériences constitutives du républicanisme moderne : La première expérience républicaine moderne est celle de l’indépendance américaine qui donna lieu à la Constitution de 1787 (cf. The federalist papers). Le peuple est source unique de légitimité. Le pouvoir de la souveraineté populaire ne pouvant fonctionner que dans les petites républiques, s’est posé un problème : comment réaliser une République dans un grand État ? La nécessité est-elle celle d’un gouvernement représentatif ?
En 1792, en France a lieu la proclamation de la Ière République. Condorcet présente le plan de constitution de 1793 qui s’oppose à la fois à ceux qui s’opposent au suffrage universel (cf. Sieyès, Qu’est ce que le tiers-état ?) et à Robespierre, qui était pour une démocratie directe. Condorcet defend qu’il est nécessaire de réaliser l’éducation des citoyens (cf. Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791). Elle rend inutile le devoir d’une démocratie directe. La pensée républicaine s’appuie sur le fait qu’il est nécessaire d’éduquer les citoyens pour que le pouvoir ne soit pas usurpateur.
          L’égalité civile (isonomie) et civique (égalité dans la participation civique) est garantie par l’État. Il doit y avoir une corrélation entre le progrès scientifique et le progrès moral. Cette corrélation justifie le rationalisme. Le principal représentant de cette thèse est Auguste Comte qui en 1826 commence à professer son Cours de philosophie positive à son domicile.
          Le républicanisme s’oppose à l’arbitraire politique et au cléricalisme religieux (confusion entre la rationalité et la croyance). Le cléricalisme détourne le citoyen de sa propre raison (cf. Henri Pena-Ruiz, Dieu et Marianne).
 
          Dans sa version moderne, le républicanisme s’est fondé sur la nation. Le républicanisme est devenu le discours d’action de référence permettant d’associer deux choses : d’une part les libérations populaires nationales et de l’autre la construction de l’action rationnelle collective par le biais de l’État. Le Printemps des peuples regroupe une série d’insurrections à travers l’Europe. Il y a un essor du patriotisme républicain (Jules Michelet et Edgar Quinet).   Giuseppe Mazzini fonde, dans un même esprit, l’éphémère république romaine. George Sand lui fait rencontrer Pierre Leroux. Giuseppe Mazzini écrit Les pensées sur la démocratie en Europe et se prononce pour les États-Unis d’Europe. On aurait alors une double respublica : respublica naturelle (patrie) et respublica secondaire (Europe).
          Le républicanisme estime que la nation permet l’individualité, et vice-versa. Le républicanisme revendique donc d’être à la fois un individualisme et un holisme. Ce qui permet cela, c’est notamment l’action de l’État qui va révéler la spécificité de l’individu dans l’éducation et l’individu va ensuite se mettre au service de l’État car pendant l’éducation, on inculque une morale républicaine, une morale civique. Cette morale indique à l’individu quels sont ses droits et ses devoirs vis-à-vis de l’État. Ceci n’est pas sans rappeler la philosophie de Kant qui montre la tension entre l’individualité et l’humanité. Nous faisons l’expérience du devoir en dépit de nos intérêts particuliers, nous devons nous montrer capable de satisfaire aux intérêts de l’humanité. Le remord lorsque nous agissons contre les intérêts de l’humanité est la preuve que l’homme a une destination morale. Nous éprouvons une double-appartenance permanente. L’individu peut suivre sa logique mais il est redevable à la nation. Des philosophes kantiens ont œuvré en France à la République : Charles Renouvier, Manuel républicain de l’homme et du citoyen, Science de la morale, Jules Barni, La morale dans la démocratie, Ferdinand Buisson, théoricien du laïcisme. Nous sommes face à un rapport entre trois niveaux : individu, nation, État.
          La constitution de l’Etat républicain : en 1871 et 1882, sont votées les lois sur l’instruction publique de Jules ferry qui la décrètent laïque et obligatoire.  En 1905, est votée la loi sur la séparation entre l’Église et l’État. Le sociologue et philosophe Célestin Bouglé (1870-1940) contribue à se représenter l’institution étatique comme vectrice d’un service public. Les droits ne sont réels que s’il y a une réalité sociale derrière.
-   Droits à la sécurité (police et armée) relèvent d’une définition hobbésienne de la République.
-   Droits à la santé (sécurité sociale).
-   Droits à des conditions de travail décentes.
-   Droit à l’information (PTT et mise en œuvre des grands media nationaux ; France Télévision et Radio France sont dites libres car soustraites aux influences mercantiles).
 
          Le républicanisme semble ne pas être une pensée absolument socialiste du fait qu’elle reste individualiste. Le républicanisme joue pourtant de l’ambiguïté du socialisme, lequel a toujours souffert de sa proximité avec le marxisme. L’origine du socialisme ramène le socialisme vers quelque chose qui est plutôt individualiste. Jaurès (1859-1914) : «Le socialisme est l’individualisme logique et complet». Il existe une connivence étrange entre le républicanisme et le socialisme.       Jean-Fabien Spitz, Le moment républicain en France. Dans le chapitre 1 intitulé «Le crépuscule de la république», Spitz souligne l’absence d’opposition entre individualisme et républicanisme (cf. pp. 39-45 et 51-59). L’intérêt général, c’est l’égalité des citoyens.        La reconstitution du républicanisme a été rendue active par le radicalisme. Alain (de son vrai nom Émile Chartier, 1868-1951), a écrit un certain nombre d’articles de journaux, tribunes politiques (cf. les différents Propos… dont certains sont téléchargeables ici : http://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/Alain.html). Alain pense qu’il y a des intelligences différenciées. Il était enseignant dans le système des classes préparatoires aux grandes écoles, son métier  de philosophe républicain fonctionnaire consistait de ce fait, si l’on voulait dire les choses brutalement, à identifier puis à former les individus aptes par leurs talents à être des cadres pour la nation au service de la République. La question qu’il pose revient aussi à trouver le régime de publicité le plus adéquat : comment publiciser sans tomber dans la démagogie ? La réponse à cette question passe par la volonté d’assurer la présence de l’ensemble des citoyens comme instance critique de mais aussi au sein de l’État. Il faut rendre l’État conforme à la volonté des citoyens et transformer l’élite en hommes sages (cela rappelle, explicitement revendiquée par Alain, la thèse platonicienne des philosophes-rois) ; une telle vue relève aussi de la tentative kantienne, précédemment évoquée. Il y a une visée morale de l’action politique.
          
          Le bilan de la république est mitigé et l’idée républicaine est aujourd’hui contestée. L’action de la République est apparue limitée car les républicains ne furent jamais des révolutionnaires, et pour eux l’ordre public s’appuie sur l’Etat – au sens où le républicanisme a été et demeure une pensée de l’institution. De ce point de vue, on pourrait presque aller jusqu'à affirmer que ce sont les succès mêmes de la République qui l’ont fragilisée. En effet, dans toutes les sociétés modernes qui ont été régies par les principes républicains, sans exception, le niveau éducatif moyen des gens a augmenté, de même que leur niveau social ; mais l’un et l’autre tout en épousant plus ou moins explicitement les principes économiques de la société libérale et l’organisation capitaliste de la production et des échanges. Aussi, sans surprise, la République se voit-elle politiquement contestée à la fois par la gauche et par la droite.
-   Critique de la gauche : le projet républicain est trahi par les moyens insuffisants que la République utilise, elle n’est pas assez radicale, et même elle est suspecte d’être favorable au libéralisme et complice du capitalisme ; de plus, son attachement aux institutions passe pour un étatisme coupable d’autoritarisme ; il serait donc nécessaire d’abolir cet esprit d’institution au profit du pouvoir du peuple.
-   Critique de la droite : l’ordre républicain s’appuie sur l’action de l’État donc la République est socialement coûteuse, elle est peu rentable dans ses services publics, elle se nourrit de manière parasitaire des marges dégagées par l’économie capitaliste ; il serait donc nécessaire de privatiser les institutions, et de délivrer l’individu libéral du joug républicain qui soumet certains pans de la vie à l’utilité commune.
          En outre, il faut bien le dire, sur le plan du bilan historique les non-dits de la République sont écrasants. Ils sont liés à son action dans le processus d’expansion impérialiste sous la forme du colonialisme – et aucun régime républicain ne semble pouvoir échapper à ce constat. Incontestablement, tout au long du XIXe siècle, le régime républicain s’est fait le complice de la spoliation du monde, de l’infériorisation des indigènes.  Néanmoins, on peut noter qu’à cet égard, ce n’est pas le républicanisme qui est uniquement responsable, c’est toute la modernité qui l’est – dans un phénomène colonial complexe et qui, s’il fut impérialiste et négateur de l’humanité des populations, est en même temps loin d’être univoque et simple. Simplement, la République s’est voulue civilisatrice et son colonialisme s’est en quelque sorte aggravée de bons sentiments.
          D’autre part, la République au nom d’un progressisme social assez abstrait a été industrialiste, elle s’est rendue complice du patronat sauvage – elle n’a sans doute pas été assez sociale, en regard des attentes qu’elle a engendrées de ce point de vue.
          On doit aussi relever le bellicisme des régimes républicains lié au nationalisme. Les régimes républicains sans théoriser le nationalisme étaient tolérants envers le nationalisme. Quelles sont les relations entre l’individu et la communauté nationale ? Les républicains ont parfois eu une conception étroite de la citoyenneté nationale. On a pu dire que la République était souverainiste (à ce sujet, voir les travaux des disciples de Jürgen Habermas : Jean-Marc Ferry, Contre la national-républicanisme et Justine Lacroix, L’Europe en procès. Quel patriotisme au delà des nationalismes ?). Les Républiques campent sur une définition de la citoyenneté qui repose sur la nationalité, ce qui pose le problème des sans-papiers, des apatrides…
 
Caractérisons maintenant le républicanisme contemporain, ce qui nous permet de préciser la dimension théorique des idées républicaines – en fonction notamment de ce qu’un auteur a récemment identifié comme le « renouveau républicain »[1][1]. Le républicanisme contemporain articule une historiographie de la pensée politique et une théorie politique. La première, notamment mise en œuvre par John Pocock et par Quentin Skinner[2][2], repose sur l'intention de mettre en lumière les véritables fondements de la pensée politique moderne : ce n'est pas à Hobbes et à son « libéralisme » (dans l'état de nature, les hommes entretiennent entre eux des relations de compétition par le biais desquels leur raison est stimulée pour calculer les meilleures opportunités) que l'on doit l'essor de la pensée politique moderne, mais à une lignée de penseurs qui procèdent du Machiavel des Discours sur la première décade de Tite-Live et des Histoires florentines (deux volumineux ouvrages composés dans les années 1510-1520). Et de fait, Machiavel a développé, dans ces ouvrages qui reflètent son engagement personnel en faveur de la république de Florence qu'il a servie comme haut fonctionnaire, une thématique de la « vertu civique » tout à fait convergente avec celle d'un Montesquieu dans De l'esprit des lois (1748), et avec celle développée par les « Pères fondateurs » de la Constitution américaine de 1787, exposée dans l'ouvrage collectif Le Fédéraliste (The Federalist Papers, recueil d'articles techniques expliquant aux grands électeurs de l'Etat de New York les principes et le fonctionnement de la Constitution américaine, et rédigée par les trois constituants Alexander Hamilton, James Madison et John Jay)[3][3]. Le maître mot qui constitue le leitmotiv des auteurs de la tradition républicaine est la participation civique.
          Sur le plan de la théorie politique, il apparaît nécessaire de distinguer entre le républicanisme contemporain d’inspiration classique et le néo républicanisme. Le premier reprend bien des traits de l’expérience française de la République : pensée de l’institution et de la nation, il consiste en un individualisme anthropologique couplé à ce qu’on pourrait appeler une forme holiste du civisme ; s’il est lié au libéralisme en tant qu’il respecte les modes de la démocratie libérale, le républicanisme est un « holisme civique ». Cela signifie (1) qu’il reconnaît à l’activité politique un rôle majeur pour animer la démocratie, pour la rendre conforme à ses ambitions de conciliation des deux idéaux de la liberté et de l’égalité ; (2) que pour lui, c'est sur le plan de la communauté civique que les individus acquièrent leur pleine et entière consistance. On trouve une telle orientation de pensée chez un auteur tel que Régis Debray, notamment en fonction de son « rousseauisme », entendu comme tentative de penser la collectivité à partir de ses affects fondateurs[4][4]. On peut également souligner une nuance dans le républicanisme contemporain d’inspiration classique : il s’agit de la variante nommée « humaniste civique », au sens philosophique ou théorique du terme, par référence à la tradition historique de cette thématique (née à Florence au XVe siècle). Pour cette variante du républicanisme, c’est sur le terrain de la participation civique que peut être engendré non seulement la liberté politique, mais également et surtout l’authentique identité des individus. Le républicanisme humaniste civique voit dans la participation un véritable activateur ou catalyseur anthropologique – la confiscation du droit à l’expression politique ne représente pas seulement la confiscation des libertés, mais elle fait perdre de la consistance à la réalité humaine, le monde humain s’en trouve dangereusement appauvri. La phénoménologie politique d’Arendt s’entend très clairement à partir de cette position, ainsi qu’on le voit dans le § 28 de Condition de l’homme moderne, intitulé « La puissance et l’espace de l’apparence » (dans le chapitre V : « L’action »).
          Quant aux auteurs inspirés par le néo républicanisme[5][5], nous pourrions dire qu’ils incarnent une critique hostile à aux critiques libérales de Rawls, en ravivant la distinction conceptuelle proposée par Isaïah Berlin : pour les néo républicains, les libéraux s'en tiennent à une définition « négative » de la liberté, en omettant sa valeur « positive », le libéralisme a développé la première, et, en confondant la liberté et la jouissance de droits subjectifs, a engendré une conception dépolitisée de la liberté. Ce qui, rigoureusement parlant, est un contre-sens.      Philip Pettit a développé la théorie normative du néo-républicanisme dans son ouvrage majeur Républicanisme, une théorie du gouvernement et de la liberté. Il s’agit pour lui de repenser la distinction entre les deux (ou quatre) concepts de liberté. Ces deux (ou quatre) concepts avaient été présentés par Constant dans sa conférence de 1819 (distinction anciens/modernes) et par Isaïah Berlin dans celle de 1958 (distinction négative/positive). En réalité, à lire Pettit, on a l’impression qu’il ramène à une seule les deux distinctions, et qu’il confond dans une même critique la liberté négative et celle des modernes, et la liberté positive et celle des anciens. Il veut en tout cas démontrer que la première n’est pas intégralement, ou pas véritablement une liberté. En effet, en quoi consiste la liberté ? En l’absence de dépendance d’une personne vis-à-vis d’autrui, cette absence n’est pas assez qualifiée par le libéralisme. Pettit distingue la non-domination de  l’absence d’interférence. Les libéraux s’en tiennent à l’absence d’interférence. La non-domination, c’est ne plus pouvoir agir sur autrui. Il faut alors penser quels sont les droits permettant la réalisation de la non-domination. Si tel est l’impératif du néo républicanisme, on pourrait dire qu’il est davantage un individualisme que le républicanisme d’inspiration classique, qui s’en tient pour sa part à la qualification d’individualisme et holisme civique.
          Ce qui rend homogène le républicanisme contemporain d’inspiration classique du néo républicanisme, c’est la volonté commune de penser de manière non-neutre l’action de l’Etat. Non-neutre au sens que le libéralisme donne à ce terme, c’est-à-dire en laissant faire le marché. Pour les républicanismes contemporains, pour être pleinement démocratique, l’Etat doit agir  de manière à la fois libérale (soit dans le respect de l’Etat de droit protecteur du droit des personnes), républicaine (en se fondant sur l’exigence d’égalité entre les cosociétaires), et activement éthique (il s’agit de disposer l’Etat à agir en vue d’une amélioration de la qualité des services publics, pour favoriser la vie des populations). C’est en ce sens qu’il s’agit de politiser la démocratie : l’idée de république ne s’épuise ni dans la constitution ni dans défense obstinée de la « chose publique » (l’institution, l’Etat), mais elle cherche à créer du commun par le biais de la politisation des questions d’actualité. Mais le républicanisme n’est pas pour autant une forme du communisme : bien qu’il préserve certains espaces (les espaces publics) de l’appropriation privée, ces espaces qui n’appartiennent à personne protégés par l’Etat considéré comme l’instrument de la souveraineté du peuple, il ne vise pas la création d’une société d’individus socialement égaux – mais seulement civiquement égaux. Ce commun ou cet en-commun, les théoriciens du républicanisme le conçoivent plus précisément en fonction de la relation collective à des symboles politiques ; le républicanisme entend donc politiser la démocratie à partir de symboles capables de créer de la communauté. Pour le républicanisme contemporain d’origine traditionnelle, ces symboles sont par exemple les principes mêmes de l’organisation politique : la souveraineté du peuple, la constitution, ou encore les éléments de la tradition nationale, tels que la mémoire de la liberté gagnée par la Révolution ou les luttes sociales (que les fêtes nationales rappellent tous les ans), ou encore les symboles de la nation. Pour le néorépublicanisme (notamment chez Pettit), il s’agit plutôt de créer du commun à partir de la considération de la valeur supérieure de la loi, considérée comme une création commune qui ne se résume pas à une convention artificielle et utile. Dans les deux tendances, se fait jour une surdétermination de la parole publique, capable de créer du commun à partir du dépassement des points de vue particuliers du fait de la force de la raison : compte tenu de ces espoirs mis dans une telle raison publique, les républicains sont les héritiers de la tradition philosophique issue des Lumières (Rousseau, Sieyès, Condorcet, Kant et d’autres en firent les premiers la théorie).
      
 
 


Par Thierry Ménissier - Publié dans : Philosophie de la démocratie
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[1][1] Cf. Serge Audier, Les théories de la république, Paris, La Découverte, 2004, IVème partie.
[2][2]John Greville Agard Pocock, The Machiavellian Moment. Florentine Political Thought and the Atlantic Republican Tradition, Princeton University Press, 1975, trad. Luc Borot, Le Moment machiavélien. La pensée politique florentine et la tradition républicaine atlantique, Paris, P.U.F., 1997 ; Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought, Cambridge Univesity Press, 1978, trad. Jérôme Grossman et Jean-Yves Pouilloux, Les fondements de la pensée politique moderne, trad., Paris, Albin Michel, 2001.
[3][3]Pour une présentation de ce texte fondamental et souvent méconnu en France, cf. l'article de Martin Diamond dans Leo Strauss et Joseph Cropsey (dir.), Histoire de la philosophie politique, 1963, 3ème édition 1987, trad. fr. Olivier Sedeyn, Paris, PUF, 1994, « Quadrige », 1999, p. 728-752 ; et le petit ouvrage de Laurent Bouvet et Thierry Chopin, Le Fédéraliste. La démocratie apprivoisée, Paris, Michalon, 1997.  
[4][4] Voir par exemple Régis Debray, Le moment fraternité, Paris, Gallimard, 2009.
[5][5]Cf. Quentin Skinner, « On Justice, the Common Good ant the Priority of Liberty », dans Chantal Mouffe (dir.), Dimensions of Radical Democracy. Pluralism, Citizenship, Community, London-New York, Verso (Phronesis), 1992, p. 211-224, trad.  « Sur la justice, le bien commun et la priorité de la liberté », dans Libéraux et communautariens, op. cit., p. 209-226 ; Liberty before Liberalism, Cambridge, Cambridge University Press, 199, trad. La liberté avant le libéralisme, Paris, Le Seuil, 2000 ; et Philip Pettit, Republicanism. A Theory of Freedom and Governement, Oxford, Oxford University Press, 1997, 2ème édition augmentée 1999, trad. Patrick Savidan et Jean-Fabien Spitz, Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement, Paris, Gallimard, 2004.

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